Vie de Caligula (XI à XX)
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[XI] Naturam tamen saevam atque probrosam ne tunc quidem inhibere poterat, quin et animadversionibus poenisque ad supplicium datorum cupidissime interesset et ganeas atque adulteria capillamento celatus et veste longa noctibus obiret ac scaenicas saltandi canendique artes studiosissime appeteret ; facile id sane Tiberio patiente, si per has mansuefieri posset ferum ejus ingenium. Quod sagacissimus senex ita prorsus perspexerat ut aliquotiens praedicaret exitio suo omniumque Gaium vivere et se natricem Populo Romano, Phaethontemque orbi terrarum educare.
[11] Pourtant déjà alors, il ne pouvait pas empêcher sa nature cruelle et vicieuse de s'intéresser avec beaucoup de plaisir aux châtiments et aux peines des condamnés au supplice ni de fréquenter de nuit les boîtes et les bordels, dissimulé sous une perruque et un long manteau, ni de rechercher avec trop de passion les arts scéniques de la danse et du chant ; certes Tibère supportait cela sans difficultés, en espérant que son naturel sauvage pourrait s'adoucir par ces fredaines. Le très perspicace vieillard l'avait sondé à ce point qu'il disait souvent que Gaius vivait pour sa perte et celle de tous et que lui, Tibère, élevait un dragon pour le peuple romain et un Phaéton pour le monde entier.
[XII] Non ita multo post Juniam Claudillam M. Silani nobilissimi viri filiam duxit uxorem. Deinde augur in locum fratris sui Drusi destinatus, prius quam inauguraretur ad pontificatum traductus est insigni testimonio pietatis atque indolis, cum deserta desolataque reliquis subsidiis aula, Sejanoque tunc suspecto mox et oppresso, ad spem successionis paulatim admoveretur. Quam quo magis confirmaret, amissa Junia ex partu, Enniam Naeviam, Macronis uxorem, qui tum praetorianis cohortibus praeerat, sollicitavit ad stuprum pollicitus et matrimonium suum, si potitus imperio fuisset ; deque ea re et jure jurando et chirographo cavit. Per hanc insinuatus Macroni veneno Tiberium adgressus est, ut quidam opinantur, spirantique adhuc detrahi anulum et, quoniam suspicionem retinentis dabat, pulvinum jussit inici atque etiam fauces manu sua oppressit, liberto, qui ob atrocitatem facinoris exclamaverat, confestim in crucem acto. Nec abhorret a veritate, cum sint quidam auctores ipsum postea etsi non de perfecto, at certe de cogitato quondam parricidio professum ; gloriatum enim assidue in commemoranda sua pietate, ad ulcicendam necem matris et fratrum introisse se cum pugione cubiculum Tiberii dormientis et misericordia correptum abjecto ferro recessisse ; nec illum, quanquam sensisset, aut inquirere quicquam aut exequi ausum.
[12] Peu après, il épousa Junia Claudilla, fille du très noble Marcus Silanus. Puis désigné augure à la place de son frère Drusus, il fut nommé au pontificat avant que sa nomination ne soit officiellement consacrée, témoignage remarquable de sa pieuse affection et de son caractère et, alors que la cour était désertée et se dépeuplait des derniers piliers et que Séjan était découvert et presque anéanti, il s'approcha insensiblement de l'espoir de succéder à Tibère. Et pour conforter davantage cet espoir, après avoir perdu Junia morte en couches, il fit sa cours à Ennia Névia, l'épouse de Macron qui commandait alors les cohortes prétoriennes, promettant à celle-ci le mariage s'il obtenait le pouvoir ; et pour cette affaire, il donna comme garanties son serment et un écrit de sa main. Par son intermédiaire, introduit auprès des grâces de Macron, il entreprit d'empoisonner Tibère, selon certains, comme celui-ci respirait encore alors qu'il lui retirait son anneau et, parce qu'il le soupçonnait de le retenir, il le bâillonna avec un coussin et l'étrangla de sa propre main ; un affranchi de Tibère, qui avait crié à cause de l'horreur du crime, fut aussitôt crucifié. Et cela ne manque pas de vérité, puisqu'il existe des auteurs selon lesquels Caligula avoua ensuite, sinon l'avoir perpétré, du moins avoir songé à ce parricide. Très souvent il s'est glorifié, pour rappeler sa piété filiale, de s'être introduit avec un poignard dans la chambre de Tibère endormi pour venger les assassinats de sa mère et de ses frères mais, saisi de pitié, d'être ressorti de la chambre après avoir laissé tomber son arme ; sans que Tibère, quoiqu'il s'en fût rendu compte, osât faire une enquête ni le punir.
[XIII] Sic imperium adeptus, Populum Romanum, vel dicam hominum genus, voti compotem fecit, exoptatissimus princeps maximae parti provincialium ac militum, quod infantem plerique cognoverant, sed et universae plebi urbanae ob memoriam Germanici patris miserationemque prope afflictae domus. Itaque ut a Miseno movit quamvis lugentis habitu et funus Tiberi prosequens, tamen inter altaria et victimas ardentesque taedas densissimo et laetissimo obviorum agmine incessit, super fausta nomina « sidus » et « pullum » et « pupum » et « alumnum » appellantium.
[13] Ainsi parvenu au pouvoir, il combla les vœux du Peuple Romain, je dirais même plus, ceux du genre humain, en prince rêvé par la majorité des provinciaux et des soldats, puisque la plupart l'avait connu enfant, mais aussi par toute la plèbe de la ville émue par le souvenir de son père Germanicus et de compassion pour sa famille presque détruite. Ainsi, lorsqu'il partit des environs de Misène, bien qu'il fût en deuil et suivît le cortège funèbre de Tibère, parmi les autels, les victimes et les torches enflammées, il avança en franchissant une foule très dense et très joyeuse l'appelant des noms plus que favorables « ma star », « mon bébé », « mon mignon », « mon enfant ».
[XIV] Ingressoque urbem, statim consensu senatus et irrumpentis in curiam turbae, inrita Tiberi voluntate, qui testamento alterum nepotem suum praetextatum adhuc coheredem ei dederat, jus arbitriumque omnium rerum illi permissum est tanta publica laetitia, ut tribus proximis mensibus ac ne totis quidem supra centum sexaginta milia victimarum caesa tradantur. Cum deinde paucos post dies in proximas Campaniae insulas trajecisset, vota pro reditu suscepta sunt, ne minimam quidem occasionem quoquam omittente in testificanda sollicitudine et cura de incolumitate ejus. Ut vero in adversam valitudinem incidit, pernoctantibus cunctis circa Palatium, non defuerunt qui depugnaturos se armis pro salute aegri quique capita sua titulo proposito voverent. Accessit ad immensum civium amorem notabilis etiam externorum favor. Namque Artabanus Parthorum rex, odium semper contemptumque Tiberi prae se ferens, amicitiam hujus ultro petiit venitque ad colloquium legati consularis et transgressus Euphraten aquilas et signa Romana Caesarumque imagines adoravit.
[14] À son arrivée à Rome, aussitôt avec l'accord du sénat et de la foule envahissant la curie, en allant contre la volonté de Tibère, qui lui avait donné comme cohéritier son autre petit-fils encore revêtu de la prétexte, le pouvoir absolu lui fut remis en une telle liesse publique qu'on raconte que pendant les trois mois qui suivirent et même pas en leur totalité, on sacrifia plus de cent soixante mille victimes. Puis, quelques jours après, comme il s'était rendu sur les îles voisines de la Campanie, on assuma l'accomplissement de vœux pour son retour, sans omettre même la moindre occasion de témoigner de l'inquiétude et du souci au sujet de sa sauvegarde. Mais lorsqu'il tomba malade, tous passèrent la nuit autour du Palais et il ne manqua pas de gens pour se battre en armes pour le salut du malade et qui firent don de leur vie en l'affichant. À l'immense affection des citoyens se joignit aussi une remarquable sympathie des étrangers. En effet, Artaban le roi des Parthes, qui mettait toujours en avant sa haine et son mépris envers Tibère, rechercha outre mesure l'amitié de Caligula et se rendit à la convocation du légat consulaire et, après avoir franchi l'Euphrate, il se prosterna devant les aigles, les enseignes romaines et les portraits des Césars.
[XV] Incendebat et ipse studia hominum omni genere popularitatis. Tiberio cum plurimis lacrimis pro contione laudato funeratoque amplissime, confestim Pandateriam et Pontias ad transferendos matris fratrisque cineres festinavit, tempestate turbida, quo magis pietas emineret, adiitque venerabundus ac per semet in urnas condidit ; nec minore scaena Ostiam praefixo in biremis puppe uexillo et inde Romam Tiberi subvectos per splendidissimum quemque equestris ordinis medio ac frequenti die duobus ferculis Mausoleo intulit, inferiasque is annua religione publice instituit, et eo amplius matri circenses carpentumque quo in pompa traduceretur. At in memoriam patris Septembrem mensem Germanicum appellauit. Post haec Antoniae aviae, quidquid umquam Livia Augusta honorum cepisset, uno senatus consulto congessit ; patruum Claudium, equitem Romanum ad id tempus, collegam sibi in consulatu assumpsit ; fratrem Tiberium die virilis togae adoptavit appellavitque principem juventutis. De sororibus auctor fuit, ut omnibus sacramentis adicerentur : « neque me liberosque meos cariores habebo quam Gaium habeo et sorores eius » ; item relationibus consulum : « quod bonum felixque sit C. Caesari sororibusque eius ». Pari popularitate damnatos relegatosque restituit ; criminum, si quae residua ex priore tempore manebant, omnium gratiam fecit ; commentarios ad matris fratrumque suorum causas pertinentis, ne cui postmodum delatori aut testi maneret ullus metus, convectos in forum, et ante clare obtestatus deos neque legisse neque attigisse quicquam, concremavit ; libellum de salute sua oblatum non recepit, contendens nihil sibi admissum cur cuiquam invisus esset, negavitque se delatoribus aures habere.
[15] Il enflammait aussi en personne les sentiments amicaux des gens par toutes sortes de recherche d'affection. Après les obsèques et l'éloge de Tibère avec de nombreuses larmes pour discours, soudain il se précipita à Pandateria et Pontia pour ramener les cendres de sa mère et de son frère [Néron] sous un temps exécrable, pour que sa piété filiale fût plus évidente, il s'y rendit avec un grand respect et déposa lui-même les cendres dans les urnes ; et par une mise en scène pas moindre, ayant fixé à la poupe de sa birème un étendard, il les apporta à Ostie, de là par le Tibre à Rome, et à la mi-journée de ce jour où il y avait foule, il les fit transporter au Mausolée sur deux civières par chaque homme le plus éclatant de la classe des chevaliers et il institua des fêtes religieuses publiques et annuelles et en plus pour sa mère, des jeux du cirque ainsi qu'un char pour que son portrait y fût présenté dans le défilé qui ouvrait les jeux. En souvenir de son père, il fit appeler le mois de septembre germanicus. Après cela, il attribua en un ensemble, par un seul sénatus-consulte, à sa grand-mère Antonia, chacun des honneurs qu'avait eus Livia Augusta, il prit pour collègue au consulat son oncle Claude, à cette époque chevalier romain ; il adopta son cousin Tibère Gemellus le jour où celui-ci prit la toge virile et le nomma prince de la jeunesse. Il fut le promoteur de ses sœurs, de sorte qu'elles fussent dans toutes les formules de serments comme : « et je n'aurai pas plus d'amour pour mes enfants que j'en ai pour Gaius et ses sœurs » et même dans les rapports des consuls : « que cela soit bon et favorable à Caius César et à ses sœurs ». Dans le même souci de plaire, il rendit leurs honneurs aux condamnés et aux exilés et fit grâce de tous les crimes, s'il en restait de la période précédente ; il fit mener au forum les dossiers concernant les procès de sa mère et de ses frères, pour enlever toute crainte future à chaque délateur ou témoin, et les fit brûler en attestant ouvertement les dieux n'en avoir lu ni consulté aucun avant ; il refusa un billet au sujet de sa sauvegarde qu'on lui présenta, affirmant qu'il n'en croyait rien parce qu'il n'était haï de personne et il nia prêter l'oreille aux délateurs.
[XVI] Spintrias monstrosarum libidinum aegre ne profundo mergeret exoratus, urbe submovit. Titi Labieni, Cordi Cremuti, Cassi Severi scripta senatus consultis abolita requiri et esse in manibus lectitarique permisit, quando maxime sua interesset ut facta quaeque posteris tradantur. Rationes imperii ab Augusto proponi solitas sed a Tiberio intermissas publicavit magistratibus liberam juris dictionem et sine sui appellatione concessit. Equites Romanos severe curioseque nec sine moderatione recognouit, palam adempto equo quibus aut probri aliquid aut ignominiae inesset, eorum qui minore culpa tenerentur nominibus modo in recitatione praeteritis. Ut levior labor judicantibus foret, ad quattuor prioris quintam decuriam addidit. Temptavit et comitiorum more revocato suffragia populo reddere. Legata ex testamento Tiberi quamquam abolito, sed et Iuliae Augustae, quod Tiberius suppresserat, cum fide ac sine calumnia repraesentata persolvit. Ducentesimam auctionum Italiae remisit ; multis incendiorum damna supplevit ; ac si quibus regna restituit, adjecit et fructum omnem vectigaliorum et reditum medii temporis, ut Antiocho Commageno sestertium milies confiscatum. Quoque magis nullius non boni exempli fautor videretur, mulieri libertinae octingenta donavit, quod excruciata gravissimis tormentis de scelere patroni reticuisset. Quas ob res inter reliquos honores decretus est ei clipeus aureus, quem quotannis certo die collegia sacerdotum in Capitolium ferrent, senatu prosequente nobilibusque pueris ac puellis carmine modulato laudes virtutum ejus canentibus. Decretum autem ut dies, quo cepisset imperium, Parilia uocaretur, uelut argumentum rursus conditae urbis.
[16] Péniblement prié de ne pas plonger dans les profondeurs les spintries [inventeurs] de plaisirs monstrueux, il les chassa de la Ville. Il permit que les écrits de Titus Labienus, de Cordius Cremutus et de Cassius Severus interdits par sénatus-consultes fussent recherchés, à la portée de tous et lus, puisqu'il était de son plus grand intérêt que les événements qu'ils relataient fussent livrés à la postérité. Il rendit publics les bilans de l'empire couramment proposés par Auguste mais interrompus par Tibère et concéda aux magistrats une liberté de jugements sans recourir à lui. Il inscrivit les chevaliers romains avec sérieux et rigueur, non sans modération, car il retira ouvertement leur cheval à ceux qui étaient frappés de quelque opprobre ou ignominie mais passa sur le nom de ceux qui étaient entachés d'une faute moindre. Pour alléger le travail des juges, il ajouta une cinquième décurie aux quatre d'avant. Il essaya aussi de restituer au peuple le droit de vote en rétablissant l'usage des comices. Il acquitta sans délais avec loyauté et sans supercherie les legs inscrits dans le testament de Tibère bien qu'il eût été rendu caduc mais aussi ceux du testament de Julia Augusta que Tibère avait supprimé. Il fit remise pour l'Italie de la taxe d'un demi pour cent sur les ventes aux enchères ; apporta un secours à beaucoup de monde dans leurs pertes suite à des incendies ; et à ceux qu'il remit sur leurs trônes, il ajouta en outre tout le profit des impôts et le revenu de l'intervalle, comme à Antiochus Commagène cent millions de sesterces confisqués. Et pour qu'il fût vu partout comme partisan du bon exemple, il fit don de huit cent mille sesterces à une femme affranchi, parce que, bien qu'elle fût gravement torturée, elle garda le silence sur le crime de son maître. Pour tout cela et parmi d'autres honneurs on le récompensa par décret d'un bouclier d'or que les collèges des prêtres devraient porter au Capitole chaque année à une date précise, avec un défilé du sénat et des garçons et filles nobles qui devaient chanter les louanges de ses vertus en un chant modulé. On décréta aussi que le jour de sa prise du pouvoir serait appelé Parilies comme preuve de renaissance de la Ville.
[XVII] Consulatus quattuor gessit, primum ex Kalendis Iuliis per duos menses, secundum ex Kalendis Ianuariis per XXX dies, tertium usque in Idus Ianuarias, quartum usque septimum Idus easdem. Ex omnibus duos novissimos conjunxit. Tertium autem Luguduni iniit solus, non ut quidam opinantur superbia neglegentiave, sed quod defunctum sub Kalendarum diem collegam rescisse absens non potuerat. Congiarium populo bis dedit trecenos sestertios, totiens abundantissimum epulum senatui equestrique ordini, etiam conjugibus ac liberis utrorumque ; posteriore epulo forensia insuper viris, feminis ac pueris fascias purpurae ac conchylii distribuit. Et ut laetitiam publicam in perpetuum quoque augeret, adjecit diem Saturnalibus appellavitque Iuvenalem.
[17] Il a assumé quatre consulats, le premier depuis les calendes de juillet pendant deux mois, le second à partir des calendes de janvier pendant 30 jours, le troisième jusqu'aux ides de janvier, le quatrième jusqu'à un septième jour des mêmes ides. De tous ces consulats, il assuma les deux derniers à la suite. Quant à son troisième consulat, il l'initia à Lyon tout seul, non comme certains le pensent par orgueil ou par négligence, mais parce que, absent de Rome, il n'avait pu savoir que son collègue était mort le jour des calendes. Il distribua au peuple deux fois un congiaire de trois cents sesterces, autant de festins fastueux pour le sénat et l'ordre équestre et même aux épouses et enfants des deux ordres ; au dernier festin, il distribua en outre des toges aux hommes, et des bandelettes de pourpre pour les femmes et les enfants. Et pour accroître la joie publique de façon perpétuelle, il ajouta un jour aux Saturnales et l'appela jour de la jeunesse.
[XVIII] Munera gladiatoria partim in amphitheatro Tauri partim in Saeptis aliquot edidit, quibus inseruit catervas Afrorum Campanorumque pugilum ex utraque regione electissimorum. Neque spectaculis semper ipse praesedit, sed interdum aut magistratibus aut amicis praesidendi munus injunxit. Scaenicos ludos et assidue et varii generis ac multifariam fecit, quondam et nocturnos accensis tota urbe luminibus. Sparsit et missilia variarum rerum et panaria cum obsonio viritim divisit ; qua epulatione equiti Romano contra se hilarius avidiusque vescenti partes suas misit, sed et senatori ob eandem causam codicillos, quibus praetorem eum extra ordinem designabat. Edidit et circenses plurimos a mane ad vesperam interjecta modo Africanarum venatione modo Troiae decursione, et quosdam praecipuos, minio et chrysocolla constrato circo nec ullis nisi ex senatorio ordine aurigantibus. Commisit et subitos, cum e Gelotiana apparatum circi prospicientem pauci ex proximis Maenianis postulassent.
[18] Il offrit des jeux de gladiateurs soit dans l'amphithéâtre de Taurus soit aux Saepta, en y introduisant les boxeurs africains et campaniens les plus célèbres des deux provinces. Il ne présida pas toujours en personne aux spectacles, mais de temps en temps il confia la présidence des jeux à des magistrats ou à des amis. Il donna fréquemment des pièces de théâtre de genre divers et en beaucoup d'endroits, une fois même en nocturne après avoir fait illuminer toute la ville. Il distribua des cadeaux variés qu'il envoyait sur la foule et des paniers avec des vivres qu'il divisa par tête ; pendant un repas de cette sorte il envoya à un chevalier romain trop joyeux et trop gourmand, placé face à lui, sa part de nourriture et à un sénateur pour cette même raison il envoya aussi des codicilles, dans lesquels il le désignait préteur hors classe. La plupart des jeux du cirque qu'il offrit duraient du matin jusqu'au soir, interrompus tantôt par des chasses africaines tantôt par un défilé troyen, et dans les principaux, il parsema le sable du cirque de vermillon et de pierres précieuses et personne ne pouvait conduire des chars, sauf les gens de rang sénatorial. Il en donna aussi à l'improviste, comme le lui avaient demandé quelques personnes installées sur des balcons proches pendant qu'il inspectait la décoration du cirque depuis la Gélotienne.
[XIX] Novum praeterea atque inauditum genus spectaculi excogitavit. Nam Baiarum medium intervallum ad Puteolanas moles, trium milium et sescentorum fere passuum spatium, ponte conjunxit contractis undique onerariis navibus et ordine duplici ad anchoras conlocatis superjectoque terreno ac derecto in Appiae uiae formam. Per hunc pontem ultro citro commeavit biduo continenti, primo die phalerato equo insignisque quercea corona et caetra et gladio aureaque chlamyde, postridie quadrigario habitu curriculoque bijugi famosorum equorum, prae se ferens Dareum puerum ex Parthorum obsidibus, comitante praetorianorum agmine et in essedis cohorte amicorum. Scio plerosque existimasse talem a Gaio pontem excogitatum aemulatione Xerxis, qui non sine admiratione aliquanto angustiorem Hellespontum contabulaverit ; alios, ut Germaniam et Britanniam, quibus imminebat, alicujus inmensi operis fama territaret. Sed avum meum narrantem puer audiebam, causam operis ab interioribus aulicis proditam, quod Thrasyllus mathematicus anxio de successore Tiberio et in verum nepotem proniori affirmasset non magis Gaium imperaturum quam per Baianum sinum equis discursurum.
[19] De plus, il imagina un genre de spectacle nouveau et sans précédent. En effet, il rejoignit l'intervalle de presque trois mille six cents pas entre Baiae et les digues de Pouzzoles avec un pont fait de navires marchands placés en double file et à l'ancre sur lesquels fut jeté un chemin de terre et droit à la ressemblance de la Via Appia. Pendant deux jours de suite, il fit un aller retour sur ce pont, au premier jour sur un cheval orné de phalères et de décorations il portait une couronne de feuilles de chêne, un petit bouclier de cuir, un glaive et un manteau militaire grec doré, le lendemain habillé en aurige il menait un attelage de deux célèbres chevaux, avec devant lui Darius un des jeunes otages parthes et escorté des prétoriens et de la cour de ses amis dans des voitures. Je sais bien que la plupart ont estimé que Caius imagina un tel pont pour imiter Xerxès, qui aurait établi un pont non sans entraîner une certaine admiration sur le détroit de l'Hellespont et que d'autres ont estimé qu'il cherchait à effrayer par la renommée de cet immense ouvrage la Germanie et la Bretagne qu'il menaçait d'attaquer. Mais dans mon enfance, j'ai entendu mon grand-père expliquer pour cause de cet ouvrage des rumeurs de la cour selon lesquelles le mage Thrasyllus aurait affirmé à Tibère, qui s'inquiétait au sujet de sa succession et qui était plus favorable à son vrai petit-fils, que Caius n'avait pas plus de chance de gouverner l'empire que de traverser le golfe de Baiae à cheval.
[XX] Edidit et peregre spectacula, in Sicilia Syracusis asticos ludos et in Gallia Luguduni miscellos ; sed hic certamen quoque Graecae Latinaeque facundiae, quo certamine ferunt victoribus praemia victos contulisse, eorundem et laudes componere coactos ; eos autem, qui maxime displicuissent, scripta sua spongia linguave delere jussos, nisi ferulis objurgari aut flumine proximo mergi maluissent.
[20] Il fit aussi présenter des spectacles à l'étranger, en Sicile à Syracuse des jeux urbains et en Gaule à Lyon des jeux mixtes ; mais là, il fit faire un concours d'éloquence grecque et latine, on raconte que pour ce concours les vaincus devaient récompenser leurs vainqueurs, et furent tenus de composer leur éloge ; or ceux qui auraient grandement déplu reçurent l'ordre d'effacer leurs écrits avec une éponge ou leur langue, à moins qu'ils ne préférassent être punis par la férule ou être jetés dans le fleuve proche.
Commentaires de Caligula
Paragraphe 12
Hop, un long chapitre... où l'on remarquera l'art de Suétone de laisser penser que Caius... quoique... mais même si... eh bien, il aurait peut-être pu tuer Tibère... presque avec la complicité de la victime... qui aurait pu mais n'osa pas... Voilà du grand art de concierge, mais c'est comme cela que nous l'aimons Suétone. Il a abusé tellement d'historiens qu'il faut bien lui tirer notre chapeau.
Et voilà comment Suétone fait finement passer des envies de meurtre en un meurtre accompli. Il est évident que, si Tibère s'était rendu compte de quoi que ce fût, Caligula, comme sa mère et ses frères, aurait été supprimé. Tibère avait en son petit-fils Gemellus un héritier et venait de supprimer Séjan, l'homme fort qui pensait lui succéder. Ensuite, malgré l'éloge de la piété et du caractère de Caligula, sa nomination à l'augurat sans être coopté est une décision de Tibère qui s'en serait bien gardé s'il l'avait sondé comme un parricide et un Phaéton de l'humanité. Tibère était tout le contraire d'un homme suicidaire. Ce n'était pas pour rien qu'il vivait à l'abri sur l'ïle de Capri.
Il épousa Junia Claudilla en 33 d'après Tacite. Drusus est aussi mort en 33. Junia mourut en 36 d'après Tacite.
Paragraphe 14
Le petit-fils de Tibère en question est Tibère, le fils de Drusus.
Paragraphe 16
Le terme spintrias est absent du puritain Gaffiot ; il s'agit d'un mot obscène inventé par Tibère (cf. les Annales de Tacite (VI, 1) ou la Vie de Tibère par Suétone (XLIII) d'où est extrait le texte ci-dessous).
« Secessu vero Caprensi etiam sellaria excogitavit sedem arcanarum libidinum in quam undique conquisiti puellarum et exoletorum greges monstrosique concubitus repertores, quos spintrias appellabat, triplici serie conexi in vicem incestarent coram ipso ut aspectu deficientes libidines excitaret. »
« Dans sa retraite de Capri, il inventa aussi des boudoirs, siège de ses plaisirs secrets dans lequel des troupes de filles et de débauchés et des inventeurs d'accouplement monstrueux, qu'il appelait spintries, rassemblés sur trois files s'accouplaient à tour de rôle en sa présence pour exciter à cette vue ses désirs fléchissants. »
Les spintries sont une sorte d'innovateurs sexuels ; ils furent chassés de Rome par Caligula parce qu'on le priait malgré lui de ne pas les jeter à la mer. Lui, il les aurait massacrés. On peut déduire que ces spintries devaient avoir du succès, des « porn stars » de l'époque, sans doute.
Ce passage propose quelques révolutions de Caligula à son arrivée au pouvoir. Tout d'abord, bien que nous voyons par la suite Suétone s'acharner sur l'homme Caligula, il faut avouer que Suétone ne pouvait pas laisser sous silence les actes démocratiques de ce César. Tout d'abord, Caius revient à une transparence qui avait disparu sous Tibère et réédite les rationes imperii, sorte de bilan économique de l'empire et rend aux magistrats le pouvoir de rendre justice sans avoir systématiquement recours à lui.
On le voit aussi prendre avec soin son rôle de censeur en recensant les chevaliers et leur attribuer ou non le droit de « cheval public » selon des critères d'honnêteté sans pour autant se montrer cruel avec ceux qui avaient commis de petites erreurs en ne les citant pas. La classe des chevaliers, le second ordre à Rome après celui des sénateurs, était composé d'hommes libres et citoyens romains dont le patrimoine s'élevait au minimum à 400 000 sesterces.
Sous l'empire, les chevaliers suivent une carrière des honneurs parallèle à celle des sénateurs et c'est dans leur rang que le prince choisissait ses fonctionnaires qui lui étaient généralement fidèles et attachés car ils lui devaient leur carrière. Cet ordre n'était pas héréditaire, il était censitaire (posséder 400 000 sesterces minimum) et comptait entre 10 000 et 15 000 membres. À chaque recensement, son appartenance à cet ordre social était remise en cause. Le plus haut poste que pouvait atteindre un chevalier dans la carrière des honneurs était celui de préfet du prétoire. En général, l'empereur s'entourait de deux préfets du prétoire, afin d'éviter que le vizir ne devînt calife à la place du calife. Il fallut, en effet, attendre le préfet du prétoire Macrin en 217 après J.-C. pour que l'un d'eux osât accéder au pouvoir suprême, mais il ne régna que quelques mois. Il fut vaincu, massacré et son fils connut le même sort.
Une autre tentative démocratique remise en vigueur par Caligula, mais en un essai sans suite à cause de son anachronisme politique, fut de rendre au peuple son droit de vote. Le peuple ne pouvant voter autrement que selon les volontés impériales, cette tentative avorta sans avoir entraîné contre Caligula la crainte des sénateurs peu favorables à ce retour d'un pouvoir populaire et démagogique.
Suétone montre un Caligula soucieux de payer les dettes de son prédécesseur. Il s'agit d'une critique contre les sénateurs qui avaient aboli le testament de Tibère (cf. le paragraphe 13) et aussi une critique contre la pingrerie de Tibère. Le jeune prince se met à dos pour une mesure démagogique le sénat. En outre, il réduit les taxes et paie les arriérés confisqués à Antiochus Commagène. De quoi inquiéter les riches sénateurs ! Les Césars, en effet, ne regardaient pas à la dépense pour plaire au peuple et renflouaient leur caisse en accusant et en confisquant les biens des plus riches sénateurs.
Cette politique qu'entame ici Caligula est dans la droite ligne de celle de Jules César, toute hostile à l'ordre sénatorial. Il ne faudra donc pas s'étonner de l'exécrable réputation que les écrivains d'obédience sénatoriale réserveront à Caligula.
En récompensant une affranchie qui tint tête à la torture, Caligula montre son caractère démagogique.
Malgré les menaces contre leur tranquillité indiquée, les sénateurs votent par décrets pour le prince des honneurs quasi divins. Le bouclier d'or mené en grande pompe au Capitole à une date anniversaire et faire du jour d'accession à l'empire de Caligula le pendant du jour de la fondation de Rome (la fête des Parilia, ou Palilia, a lieu le onzième jour avant les calendes de mai [21 avril]) sont des marques de flagornerie mais aussi, car il y a toujours un double tranchant dans la lutte entre les julio-claudiens et le sénat, la démonstration que ce prince était coupable de mégalomanie. En lui votant des honneurs divins de son vivant, les sénateurs plutôt fourbes en font un objet de critiques et de haine.
Lorsque l'on lit les vies des premiers empereurs d'Auguste à Néron, il ne faut jamais oublier qu'ils mènent à son terme la révolution de Jules César, c'est à dire annihiler le pouvoir du sénat. Car à la différence des empereurs modernes, comme Napoléon, ces sénateurs n'étaient pas des hommes qui devaient tout au prince, puisque parmi les familles sénatoriales qui formaient le sénat des césars julio-claudien, il y avait les descendants très orgueilleux, riches et fort puissants des consuls de la République. Ils se prétendaient aussi aptes à devenir empereurs que les membres de la famille régnante et parfois étaient plus nobles qu'eux. Le boulot des cinq premiers Césars fut de purger par l'extermination et la ruine leurs rivaux d'où leur réputation de cinglés.
Paragraphe 17
Caligula fut consul en 37, 39, 40 (tout seul) et 41.
Paragraphe 18
La Gélotienne est la maison de Gelos, personnage inconnu.
Les balcons en question se disent en latin Maeniana, du nom de Maenius qui eut le premier l'idée de construire un tel balcon devant sa maison.
Paragraphe 19
Le petit-fils de Tibère en question est Tibère, le fils de Drusus.
Paragraphe 20
À propos de ces ludi, ce qu'il est possible d'avancer est que Caligula est à Syracuse aux mois de juin et juillet 38 après J.-C., juste après le brusque décès de sa sœur Drusilla. Or, il interdit, en signe de deuil, que les jeux attendus à Rome, à cette période – peut-être les Ludi Apollinares, du 5 au 13 juillet – se déroulent. Alors soit asticus se rapporte à ses jeux de la Ville qu'il donna à Syracuse, soit plutôt aux jeux Syracusains qui devaient se dérouler à cette époque si, bien sûr, il y en avait. Le terme grécisant asticus fait cependant davantage pencher pour des jeux urbains de Syracuse.
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