Chrie d'Alexandre le Grand
Anaxagore, Notus et Oncle Fétide, participants actifs aux forums de langues anciennes, sont les auteurs de la traduction de la Chrie d'Alexandre le Grand qui t'est présentée sur cette page. C'est la première fois que ce texte extrait des Progymnasmata (exercices préparatoires) de Libanios est traduit.
Une chrie, du grec « sentence », est une sorte d'exercice que faisaient faire les rhéteurs anciens et qui a été longtemps en usage dans les classes de rhétorique des collèges : il s'agissait de développer une pensée selon un plan bien établi et précis, en sept ou huit points, par une petite mise en scène avec des personnages.
[3.1.1] Ἀλέξανδρος ἐρωτηθεὶς παρά τινος ποῦ ἂν ἔχοι τοὺς θησαυροὺς τοὺς φίλους ὑπέδειξεν. Ὅτι μέγας μὲν καὶ θαυμαστὸς ὁ βασιλεὺς Μακεδόνων Ἀλέξανδρος καὶ τὴν ἤπειρον ἑκατέραν τῶν αὑ τοῦ κατορθωμάτων ἐνέπλησε καὶ τοσοῦτον τοὺς ἔμπροσθεν καὶ τοὺς ὕστερον παρήνεγκεν ὡς πρώτην χώ ραν μὴ δοῦναι, πάντας ἂν ἡγοῦμαι συμφῆσαι, πλὴν εἴ τις ἢ παντάπασιν ἀναισθήτως ἢ λίαν ἀγνωμόνως ἔχοι· ἐμοὶ δὲ δοκεῖ καλὰ πρᾶξαι καὶ παραδοῦναι τοῖς ἐσο μένοις ὑμνεῖν οὐ τύχῃ μόνον, ἀλλὰ καὶ συνέσει χρη σάμενος πρὸς ἅπαντα καὶ τῇ παρ᾿ ἐκείνης ῥοπῇ καὶ τὰ παρὰ τῆς φρονήσεως ἀγαθὰ συνεισενεγκών.
Alexandre, à qui quelqu'un demandait où il gardait ses trésors, désigna ses amis. D'une part, je pense que tous s'accordent, sauf qui est indifférent à tout ou totalement dénué de réflexion, sur le fait qu'Alexandre, le roi des Macédoniens, est grand et admirable, qu'il emplit l'Europe et l'Asie de ses heureux succès et a tant surpassé prédécesseurs et successeurs qu'il ne leur laisse pas le premier rang ; d'autre part, il me semble, ainsi qu'à ceux qui entreprendront de le célébrer, qu'il a bien agi et a laissé un bel héritage : il a été servi non seulement par une bonne fortune mais aussi par une intelligence en toutes choses et la dynamique qui en résulte, l'accompagnant des bienfaits de sa sagesse.
[3.1.2] οὐ γὰρ ταὐτὸν ἔπαθε τοῖς ἄλλοις βασιλεῦσιν οἷς ἄχρηστος μὲν ἡ παιδεία κέκριται, τῆς δὲ εὐδαιμονίας ὅρος ἡ τρυφή, ἀλλ᾿ ἡγησάμενος οὐδὲν τῶν ἀνδραπόδων διαφέ ρειν τοὺς ἀμοιροῦντας τούτου τοῦ κτήματος καὶ βου ληθεὶς ἐν τῷ καλλίστῳ τῶν ὄντων ἀμείνων εἶναι τῶν ἀρχομένων Ἀριστοτέλει φέρων ἑαυτὸν συνῆψε καὶ κατ έστησε τοῦ σοφωτάτου μαθητήν. καὶ τῶν μετὰ ταῦτα λαμπρῶν καὶ βεβοημένων ἡ πρὸς ἐκεῖνον συνουσία τὴν ὑπόθεσιν δέδωκε.
En effet, il n'eut pas le même sentiment que les autres rois qui jugeaient la culture inutile et considéraient la mollesse comme le comble du bonheur ; il pensa au contraire que ceux qui sont dépourvus de ce bien ne diffèrent en rien des esclaves et comme il voulait être meilleur que ceux qu'il dirigeait dans la plus belle des choses qui existent, se confiant à Aristote, il se lia à lui et se fit l'élève ce ce très grand savant. La fréquentation de ce dernier lui donna la base de ses brillants exploits ultérieurs et de ses illustres hauts faits.
[3.1.3] περὶ μὲν οὖν τῆς ἀνδρείας ἢ τῆς δεινότητος ἢ τοῦ πρὸς ἔργοις ἔχειν ἀεὶ τὸν λο γισμὸν ἤ τι τῶν τοιούτων εἰ διεξίοιμι, μακροτέρων ἂν δέοι λόγων· ὡς δὲ κοινὸν ἑαυτὸν κατέστησε καὶ πρὸς τοὺς συνόντας ὁμιλητικὸν ὥστε καὶ ἐρέσθαι τοῖς βουλομένοις ἐξεῖναι καὶ τυχεῖν ἀποκρίσεως εὐμενοῦς, τοῦτο τίς οὐκ ἂν ἀγασθείη; τοῖς μὲν γὰρ ἄλλοις εἴ τις ἀντιβλέψειεν, ἀδίκημα νενόμισται· Ἀλέξανδρος δὲ εἰ μὴ πρὸς τὰς ἐντεύξεις ἡμερώτατος φαίνοιτο, πάντων αἴσχιστον ἡγεῖτο.
D'une part, pour le courage, l'ingéniosité, la réflexion dans l'action ou ce dont, de ce genre, je ne pourrais faire la liste, je manquerais de temps pour en parler. D'autre part qu'il se montrât sociable et affable envers ses compagnons de sorte qu'il était possible à ceux qui le voulaient de l'interroger et d'obtenir une réponse bienveillante, qui ne l'en aurait pas admiré ? Si quelqu'un lui tenait tête, les autres y voyaient une faute ; mais si Alexandre ne se montrait pas poli lors des entretiens, il jugeait que c'était la plus honteuse des attitudes.
[3.1.4] καὶ γάρ τοι προσελθών τις ἥδιστ᾿ ἄν, ἔφη, τοὺς θησαυροὺς ἴδοιμι τοὺς σούς, ὦ βασιλεῦ. καί μοι δοκεῖ τοῦτο ἐπαρθῆναι ποιῆσαι ὁρῶν μὲν ἅπαν ἔθνος ἤδη κατεστραμμένον, ἡγούμενος δὲ πλήθει χρημάτων ταῦτα εἰς τέλος ἥκειν. πῶς οὖν Ἀλέξανδρος; οὐχ ὑβρίζειν ὑπέλαβεν, εἴ τις ἐρωτήσειε προχείρως. ἔπειτα οὐκ ἐκέλευσε τοῖς διακόνοις λαβοῦσι τὸν ἄνθρωπον περιάγειν καὶ δεικνύναι χρυσίου πλῆθος, ἀργυρίου τάλαντα τόσα καὶ τόσα, λαφύρων ἀφθονίαν, ἀλλ᾿ εἰς τοὺς φίλους προστάξας ἰδεῖν μὴ ζητήσῃς ἕτερον, φησίν, Ἀλεξάνδρου πλοῦτον. οὗτοι γὰρ ἐμοὶ θησαυροί.
Et en effet, cependant, quelqu'un s'avança et dit : « je verrais avec très grand plaisir tes trésors, ô roi ». Et il me semble avoir été poussé à agir ainsi parce qu'il voyait d'une part chaque peuple désormais soumis et d'autre part pensait que l'afflux des richesses avait touché son terme. Comment donc réagit Alexandre ? Il ne songea pas à se fâcher alors qu'on l'interrogeait avec témérité. Ensuite, il n'ordonna pas à ses serviteurs d'emmener l'homme afin de le guider et lui montrer pléthore d'or, tant et tant de talents d'argent et l'abondance des butins, mais après lui avoir ordonné de de regarder en direction de ses amis, il dit : « ne cherche pas une autre richesse chez Alexandre, car voici mes trésors ».
[3.1.5] Ὡς τοίνυν εἰκότως ταύτην ἡγήσατο πρέπειν τοῖς φίλοις τὴν προσηγορίαν, ῥᾴδιον γνῶναι, εἴπερ ἐξετάσομεν τούς τε καιροὺς οἷς ἀνάγκη χρῆσθαι τοὺς ἀνθρώ πους καὶ τύχας ἀμείνους καὶ παραπλησίους καὶ χείρο νας, ἔτι δὲ πρὸς τούτοις ἡλικίας καὶ ὅτε τις βουλεύεται.
Le fait qu'il pensait à bon droit, cependant, que cette appellation convenait bien à ses amis, il sera facile de le comprendre à quel point quand nous aurons passé en revue les circonstances dont les hommes sont obligés de s'accommoder et les hasards de l'existence – favorables, neutres ou malheureux – ainsi que les âges de la vie et les moments où l'on délibère.
[3.1.6] Οὐκοῦν δύο μὲν καιροὶ τὰ ἀνθρώπινα διαιτῶσι πράγματα, λέγω δὴ πόλεμον καὶ εἰρήνην. <ἐν> ἑκατέρῳ δὲ μέγιστον ἡ τῶν φίλων ἰσχύει μερίς. οἷον τοῖς πολε μοῦσι δεῖ μὲν χρημάτων, δεῖ δὲ ὅπλων, δεῖ δὲ συμ βούλων, δεῖ δὲ συμμάχων. οὐκοῦν λύει μὲν τὴν ἀπο ρίαν τῶν χρημάτων εἰς μέσον τιθεὶς τὰ ὄντα ὁ φίλος οὐχ αὑτοῦ μᾶλλον ἡγούμενος εἶναι τὴν οὐσίαν ἢ τοῦ συνήθους, συμβουλὰς δὲ τὰς ἀρίστας ἀναζητῶν καὶ λέ γων ἐκείναις ὀρθοῖ τὰ πράγματα. ἤδη δέ τινες ὅπλων ἀποροῦντες εἰς τοὺς φίλους ἰδόντες εὐπόρησαν. καὶ μὴν τό γε τῶν συμμάχων ἀγαθὸν τῆς φιλίας ἡγησα μένης ἂν γένοιτο.
Eh bien deux situations arbitrent les affaires humaines, je le dis, la guerre et la paix. Dans chacune, le secours des amis est un très considérable renfort. De même, ceux qui font la guerre ont besoin des richesses, des armes, des conseillers et des alliés. Il délivre de l'impasse de richesses, l'ami qui a mis à disposition ses biens au milieu en n'imaginant pas que sa richesse est davantage sienne que celui à qui il s'est lié, en donnant les meilleurs conseils, et en parlant pour redresser la situation par ceux-ci. Désormais, ceux qui sont privés d'armes en regorgent à la vue de leurs amis. Et le bonheur des combattants peut se réaliser à la pensée de cette amitié. Des individus qui manquaient d'armes en ont regorgé après être allés voir chez leurs amis. Et l'avantage d'avoir des alliés se produira si l'amitié les guide.
[3.1.7] τὸ δ᾿ αὐτὸ καὶ πόλεσι καὶ τοῖς καθέκαστα χρήσιμον. καλῶ μὲν γὰρ ἐγὼ πόλεων φίλους τοὺς εὔνους τοῖς καθεστηκόσιν, οὗτοι δὲ <οἱ> νόμους τι θέντες καὶ ψηφίσματα γράφοντες καὶ γνώμας ἀγορεύοντες καὶ τοὺς ἀδικοῦντας ἐλέγχοντες καὶ τοὺς χρηστοὺς ἀμείβεσθαι πείθοντες. ἀλλὰ μὴν καὶ τοῖς καθέκαστον μέγα παρὰ τῶν ἐπιτηδείων τὸ κέρδος. ἐκεῖνοι γάρ εἰσιν οἱ νουθετοῦντες ἁμαρτάνοντας ἢ σφαλλομέ νους ἐπὶ τὰ βελτίω μεθιστῶντες, οἱ δεομένοις ἐπικου ροῦντες, οἱ ταῖς εὐπραξίαις χαίροντες, οἱ τοῖς ἀτυχοῦ σι συναλγοῦντες. ἐκεῖνοι καὶ πολέμους πειρῶνται κα ταλύειν ὡς ἄριστα καὶ τὴν εἰρήνην ὡς ἐπιπλεῖστα φυ λάττειν καὶ τὸ πρόσφορον ἑκατέρῳ τηροῦντες <καὶ> ἀεὶ τὰ συνοίσοντα πράττονται.
En ce qui me concerne, j'appelle « amis des cités » ceux qui sont bienveillants envers leurs institutions : ce sont eux qui font les lois, conseillent la fréquentation des gens de bien. Mais il est incontestable que tout un chacun ne peut que tirer de grands avantages à fréquenter de telles personnes. En effet, ce sont ces gens qui corrigent ceux qui se trompent, ramènent dans le droit chemin ceux qui s'en sont détournés, assistent les indigents, trouvent leur bonheur à agir avec droiture, sont compatissants avec les malheureux. De plus, ils s'efforcent du mieux qu'il peuvent de mettre un terme aux conflits et de maintenir la paix le plus longtemps possible, ils ne songent qu'à se rendre utiles à chacun et n'ont de cesse d'agir dans le sens du bien.
[3.1.8] ἀλλὰ μὴν πόλεων τὰς μὲν βασιλεύεσθαι, τὰς δὲ καὶ δημοκρατεῖσθαι συμβέβηκεν, ἐν δὲ ταῖς ὀλιγαρχίας καθεστάναι. ὁ δὲ τοῖς ὑπάρχου σιν οἰκείως ἔχων σώζει μὲν βασιλεῖ τὴν βασιλείαν, τηρεῖ δὲ δήμοις τὴν ἐλευθερίαν, φυλάττει δὲ ταῖς ὀλι γαρχίαις τὸ σχῆμα.
Mais il se fait que, parmi les cités, les unes sont des monarchies, d'autres des démocraties, tandis que dans d'autres encore, ce sont des oligarchies qui se sont installées. Alexandre, quand il a de bonnes relations avec le gouvernement en place, conserve au roi sa monarchie, garantit aux peuples leur liberté, garde aux oligarchies leur régime.
[3.1.9] ἀλλὰ μὴν τῶν ἀνθρώπων οἱ μὲν πενίᾳ συζῶσι, τοῖς δὲ πολὺς παρὰ τῆς τύχης ὁ πλοῦτος. ἑκάτερον δὲ δεῖται πρὸς ὑπερβολὴν τῆς τῶν φίλων ῥοπῆς. τοῖς μὲν γὰρ διασώζει τὰ ὄντα, τοῖς δὲ ἐπικουφίζει τὴν πενίαν.
Mais, parmi les êtres humains, les uns vivent dans la pauvreté, tandis que les autres vivent dans l'abondance par chance. Mais dans les deux cas, la solidarité des amis est nécessaire. Il préserve les biens pour les uns et soulage la pauvreté pour les autres.
[3.1.10] καὶ μὴν ἅ γε δι᾿ ἡμῶν αὐτῶν πράττειν ἀδύνατον, ταῦτα τῇ τῶν φίλων προσ θήκῃ πληροῦμεν. τίς γὰρ οὐκ οἶδεν ὅτι δεῖ μὲν γυναικὸς ἀνδρὶ κατὰ τὸν Ἡσίοδον; αὐτοὶ δ᾿ οἱ γαμεῖν μέλλοντες ἐρυθριάσαιεν ἂν ὑπὲρ τοῦ γάμου διαλεγόμενοι. ἐνταῦθα δὴ τὸν ἐπιτήδειον ἡ χρεία καλεῖ. ὁ δὲ πολλοὺς καὶ καλοὺς μελετήσας λόγους καὶ τὰ ὄντα ἄρας καὶ τὰ οὐκ ὄντα προσθεὶς ῥᾷστα συνάπτει τὰ γένη.
D'autre part, ce qu'il est impossible que nous fassions par nous-mêmes, nous l'accomplissons grâce au renfort de nos amis. Qui ne sait qu'il faut une femme à un homme, selon le mot d'Hésiode ? Ceux qui se destinent au mariage rougiraient de négocier eux-mêmes en faveur de leur mariage : eh bien, c'est là que la nécessité appelle un homme de confiance. C'est lui qui, composant de beaux discours, en exaltant ce qui existe et en ajoutant ce qui n'existe pas, arrive très facilement à unir les personnes de sexe opposé.
[3.1.11] ἀλλ᾿ ἐν ταῖς ἀποβολαῖς τῶν παίδων καὶ τῶν ἀναγκαιοτάτων, οὗ πολλάκις τὸ πάθος μεῖζον ἢ φέρειν, τίνες οἱ παρόντες καὶ τῆς λύπης ἀφαιροῦντες καὶ κω λύοντες ὁρμῆσαι πρὸς ξίφος; οὐχ οὗτοι; πᾶς ἂν συμ φήσειεν ὅστις οὐκ ἄπειρος φίλων. ἐπεὶ καὶ πᾶσαν ἡλι κίαν ἔγωγ᾿ ἂν φαίην μέγιστα τοῦ πράγματος ἀπολαύειν, τὸ γῆρας ἐκεῖθεν κουφότερον, τοῖς ἀκμάζουσιν ἀπὸ τούτων οἱ συνεργοί, τοῖς παισὶν οὐχ ἑτέρωθεν οἱ τῶν ἀσκήσεων κοινωνοί, οὕτως οὐδέν ἐστιν ὃ φαίης ἂν ἔξω καθεστάναι τῆς παρὰ τῶν συνήθων χρείας.
Quand on perd des enfants ou des parents proches, chose dont la douleur est au delà du supportable, qui sont ceux qui restent à nos côtés, qui nous consolent, qui nous retiennent de nous jeter sur une épée sinon eux ? Toute personne qui a des amis en conviendrait. Et puisque je pourrais affirmer qu'à tout âge on peut jouir de l'activité – grâce à cela, la vieillesse est plus légère, il y a ceux parmi eux qui partagent les activités des adultes, il y a ceux qui de la même façon, participent aux exercices des enfants – eh bien ainsi, tu ne pourrais rien rétorquer sauf à rejeter l'utilité de tout ce qui nous vient de nos amis.
[3.1.12] Ἔστι μὲν οὖν οὐδὲ ταῦτα σμικρὰ παραδείγματα τοῦ σώφρονα ἀποκρίνασθαι τὸνἈλέξανδρον, δοκεῖ δ᾿ ἄν μοί τις ἰδεῖν ἀκριβέστερον ἡλίκον τὸ πρᾶγμα τῶν φίλων, εἰ τοὺς ἐστερημένους ἐκείνων σκέψαιτο.
Ces exemples qui montrent qu'Alexandre a répondu avec sagesse sont importants mais il me semble que l'on pourrait voir plus exactement la grande valeur de l'amitié si l'on examinait ceux qui en sont privés.
[3.1.13] οὐκ οῦν ὁ μὲν τύραννος ἐν φόβῳ βέβαιον μὲν οὐδὲν τῶν παρόντων ἀγαθῶν ἡγούμενος, ἀεὶ δὲ τὸ μέλλον προσ δοκῶν χαλεπόν; ὧͺ γὰρ οὐκ ἔστι σύμβουλος ἀποστήσων μὲν τοῦ χείρονος, προσάξων δὲ τῷ βελτίονι καὶ πείσων τὰ μὲν φεύγειν, τὰ δὲ διώκειν, πῶς ἂν ὁ τοιοῦτος ἢ πολεμήσειεν, ὅτ᾿ ἄμεινον, ἢ τὴν εἰρήνην, ὅτε βέλτιον, ἔχοι; παρὰ τοῦ δ᾿ ἂν τοὺς ἐπιβουλεύοντας προμαθὼν ἀποκρούσαιτο πρὸ τῆς πείρας τὰ δυσχερῆ; τίς δ᾿ ἂν αὐτῷ νενικηκότι συμπαιανίσειε; τίς δ᾿ ἂν ἡττημένῳ συναχθεσθείη; τῇ πόλει δὲ κηδεμόνος ἀπορούσῃ τίς τῶν ὄντων ἀσφάλεια, τίς ὑπὲρ τοῦ μέλλοντος ἄδεια;
Ainsi, le tyran est dans la crainte, pensant d'une part que rien des bonnes choses présentes n'est stable et prévoyant d'autre part toujours un avenir pénible. Il n'a pas de conseiller pour l'écarter du pire d'une part ni pour l'attacher au meilleur, ni pour lui conseiller de fuir certaines choses mais d'en rechercher d'autres : comment un tel homme pourrait-il combattre ou avoir la paix quand c'est la meilleure solution ? Informé par avance des manigances, repousserait-il loin de lui les difficultés grâce à son expérience ? Qui chanterait un péan lorsqu'il est victorieux ? Qui partagerait sa peine quand il subit une défaite ? Pour l'état, sans allié, quelle sécurité pour le présent et quelle garantie pour l'avenir ?
[3.1.14] εἶεν. τοῖς δὲ δὴ καθέκαστον οὐκ ἀλγεινότατος ὁ βίος τῆς τοιαύτης κοινωνίας ἐστερημένοις; τίς ἐπ᾿ ἀγο ρᾶς διαλέξεται; τίς ὅ τι χρὴ πράττειν ὑποθήσεται; τίς ὃ φυλάξασθαι δεῖ συμβουλεύσει; τίς κουφίσει συμφο ράν; τίς κρινομένῳ παρέσται;
Allons donc ! Pour tout un chacun, la vie ne serait-elle pas fort compliquée sans ce type de relations ? Qui, lors d'un procès, viendrait apporter son soutien à notre défense ? Qui nous conseillerait la stratégie à adopter ? Qui nous donnerait ses avis sur les pièges à éviter ? Qui allégerait le poids de nos soucis ? Qui ferait acte de présence à nos côtés quand on nous traîne devant un juge ?
[3.1.15] ἀφῄρηται καὶ τῆς νεότητος ἡ τέρψις ἄνευ φίλων, καὶ γῆρας βαρύτερον, εἰ τοῦτο ἀφέλοι τις, καὶ πενία μὴ τοῦτο ἔχουσα δι πλοῦν ἂν εἴη κακόν. ὁ δέ γε πλούσιος τοὺς μὲν ἐπι βουλεύοντας πολλούς, τοὺς δὲ βοηθοῦντας οὐδαμῶς ὄψεται. καὶ πολλὰ ἂν εἴη λέγειν ἃ τοῖς ἀποροῦσι φί λων συνέζευκται χαλεπά. εἰ τοίνυν τοῖς σπανίζουσι φίλων πάντα περιέστηκε τὰ δεινά, τοῖς γε ἐν εὐπορίᾳ γνωρίμων εὐδαιμονία πολλή. καὶ παραπλησίως τοῖς μὲν ἥδιστος, τοῖς δὲ βαρύτατος ὁ βίος.
Pas de plaisir sans amis, même quand l'un est jeune, et la vieillesse serait un fardeau bien pénible si l'on nous privait de cela. Et sans cela, la pauvreté serait une double infortune. De son côté, d'une certaine façon, le riche verra qu'il y a beaucoup de gens qui s'en prennent à lui et qu'on ne lui apporte aucun soutien. On pourrait aussi dire qu'elles sont bien nombreuses les difficultés que les gens sans amis se suscitent en bloc. Si donc, dans tous les domaines, on se retrouve au milieu d'une situation bien délicate quand on a peu d'amis, en revanche on a beaucoup de chance lorsque l'on a de nombreuses relations ; et, quasiment de façon parallèle, la vie des uns est plus qu'agréable et celle des autres est un poids écrasant.
[3.1.16] Καὶ μὴν εἰκότως ἂν μᾶλλον οἱ φίλοι θησαυροὶ προσαγορευθεῖεν ἢ ταῦτα ἃ νῦν οὕτω κέκληται. τί γὰρ τοσοῦτον παρὰ τῶν χρημάτων ὅσον τὸ παρὰ τούτων; παρετάξατο χρήματα πολεμοῦσι καὶ παρεκιν δύνευσεν; οὐκ ἔστιν. ἀλλ᾿ εἰσηγήσατο γνώμην; ἀλλὰ προκατεμήνυσεν ἐνέδραν; ἀλλ᾿ ἔλυσε στάσιν; ἀλλὰ φρονιμωτέρους ἐποίησεν; οὐδαμῶς. καὶ μὴν πάντα γε ταῦτα καὶ ἔτι πλείω τούτων παρὰ τῶν ἐπιτηδείων καὶ πρός γε αὐτὰ τὰ χρήματα παρ᾿ αὐτῶν γένοιτ᾿ ἄν. ἔτι τοίνυν οἱ μὲν ἄριστοι τῶν φίλων οὐδεπώποτε χείρους τοὺς χρωμένους ἐποίησαν, τὸν δὲ πλοῦτον ἀκούομεν πολλάκις εἰς κακίαν συντελεῖν.
Il est sûr que l'on pourra alors aller clamer partout que les amis sont les vraies richesses avec beaucoup plus de vraisemblance que ce que l'on a désigné ordinairement jusqu'à maintenant sous ce nom. Qu'est-ce que l'argent nous apporte autant que ne le fait l'amitié ? L'argent se tient-il aux côtés des combattants et partage-t-il leurs dangers ? Ce n'est pas [vrai]. Mais alors, confère-t-il l'intelligence ? Mais encore, nous dévoile-t-il les pièges ? Autrement, met-il fin aux dissensions ? Mais enfin, rend-il plus sensé ? Pas du tout ! Et à dire le vrai, tout cela, on l'aura à un degré encore bien plus élevé grâce à ses amis, avec probablement en plus la richesse. Encore une chose : jamais les meilleurs des camarades n'entraîneront vers le bas ceux qui sont leurs amis alors que nous entendons bien souvent dire que la richesse rend en fin de compte abominable.
[3.1.17] ὥστε νουνεχόντως Ἀλέξανδρος μετέστησεν ἀπ᾿ ἐκείνων ἐπὶ τούτους τοὔ νομα. διόπερ ἀεὶ φίλων δεῖ τοῖς μέλλουσιν εὐδαιμόνως βιώσεσθαι. ὅτῳ δὲ οὐκ ἔστι τοιοῦτον κτῆμα, παραπλή σιον ἂν εἴη πεπονθὼς τῷ τῆς ἑτέρας ἐστερημένῳ ταῖν χεροῖν. ὅσον γὰρ ἀλλήλοις οἱ πόδες ἐν τῷ βαδίζειν συνεισφέρουσι, τοσοῦτον ἐν τοῖς πράγμασιν οἱ φίλοι παρέχουσιν. οὐχ ἁμάρτοι δ᾿ ἄν τις οὐδὲ τὴν συζυγίαν τῶν ὀφθαλμῶν παραβαλὼν τῇ κοινωνίᾳ τῶν φίλων.
En conséquence, c'est avec beaucoup d'à-propos qu'Alexandre a fait passer ce vocable des uns [les trésors] aux autres [les amis]. C'est pourquoi il faut toujours avoir des amis quand on a l'intention de vivre en étant heureux. Il arriverait à celui qui n'a pas su s'en faire quasiment la même chose qu'à celui qui aurait été privé de l'une de ses deux mains. En effet, de même que lors de la marche les pieds s'appuient l'un sur l'autre, de la même façon nos amis nous apportent un appui dans nos affaires. Et l'on ne se trompera pas en comparant le parallélisme des yeux à l'union [qui lie] des amis.
[3.1.18] Ἔστι μὲν οὖν καὶ παρὰ τῶν καθ᾿ ἡμέραν γινο μένων πλῆθος ἀποδείξεων λαβεῖν καὶ μεστὸς ὁ βίος τῶν εἰς τοῦτο φερόντων, ἔχοι δ᾿ ἄν τις καὶ πρὸς τοὺς ἄνω χρόνους τῶν ἡμιθέων ὁρῶν ἀπ᾿ αὐτῶν κομίσαι τὰ παραδείγματα. τί γὰρ ἐνδοξότερον τῆς Ἡρακλέους καὶ τῆς Θησέως φιλίας; ἢ τί τῶν κατωρθωμένων αὐ τοῖς διὰ τοῦ ταὐτὰ προελέσθαι τε καὶ φρονῆσαι παρα πλήσια καὶ συμπνεῦσαι πρὸς τοὺς ἄθλους; ὅτε δὲ ἀπο στροφῆς ἐδέησεν αὖθις τῷ Ἡρακλεῖ, τίς ἀγαγὼν αὐτὸν 'Αθήναζε πρὸς τὴν χρείαν ἤρκεσεν; ὁ Θησεύς.
Tout d'abord, on peut donc prendre une foule d'exemples dans les événements de la vie quotidienne, et la vie est pleine de circonstances qui nous y invitent [à avoir des amis], mais on pourrait en tournant aussi le regard vers l'ancienne époque des demi-dieux, en fournir les archétypes. En effet, qu'y a-t-il de plus célèbre que l'amitié d'Héraklès et de Thésée ? Que de situations n'ont-ils pas rattrapées puisque dans l'épreuve ils faisaient les mêmes choix, pensaient comme un seul homme et n'avaient qu'un seul cœur. Losrque Héraclès fut dans l'obligation de s'exiler une nouvelle fois, quel est celui qui, en le conduisant à Athènes, lui apporta de l'aide pour ses problèmes ? Ce fut Thésée.
[3.1.19] αὐ τὸς τοίνυν οὗτος Θησεὺς ὁ Πειρίθῳ χρώμενος ἐξετάσωμεν ἅ τε ἀπήλαυσεν ἅ τε παρέσχεν. οὐκ οὖν ἔδει μὲν τῷ Θησεῖ τὴν Ἑλένην γενέσθαι δι᾿ ἁρπαγῆς; ἐπεὶ δὲ πείθων οὐκ εἶχε λαβεῖν, ἦν δὴ ὁ κίνδυνος οὐ μικρός, τοῦτο μὲν ἐκ τοῦ πατρός, τοῦτο δὲ ἐκ τῶν ἀδελφῶν καὶ τῶν ἄλλων τῶν ἐν Λακεδαίμονι. ἀλλ᾿ ὅμως ἐτόλμα Θησεύς, οὐκ ἀπελείπετο δὲ Πειρίθους τὴν χάριν πρὸ τῶν φόβων τιθέμενος
Et le fameux Thésée lui-même dont je parle et qui s'appuyait sur son ami Pirithoüs, et bien examinons les services dont il profita et ceux qu'il rendit en retour. Thésée n'était-il donc pas dans la nécessité d'enlever Hélène pour la faire sienne ? Comme Thésée ne pouvait pas obtenir sa main par la douceur – mais le risque n'était pas mince de l'enlever d'abord à cause de son père mais aussi des ses frères et des gens qui habitaient à Lacédémone –, il voulut tout de même le tenter et Pirithoüs ne le laissa pas tomber, aimant mieux lui prêter secours que céder à ses craintes.
[Autre lecture : Comme Pirithoüs ne put le persuader de renoncer à l'enlever – et certes le risque n'était pas mince d'abord à cause de son père mais aussi des ses frères et des gens qui habitaient à Lacédémone, mais Thésée pourtant voulait tout de même le tenter –, il [Pirithoüs] ne le laissa pas tomber, aimant mieux lui prêter secours que céder à ses craintes.]
[3.1.20] καὶ οὐκ ἐμέμψατο τὴν προθυμίαν, ἀλλὰ τάχιστα δὴ τὴν ἀντί δοσιν ἐκομίζετο. βουληθεὶς γὰρ μνηστεῦσαι Κόρην τὴν Διὸς καὶ Δήμητρος ἐκέλευσε μὲν τῷ Θησεῖ συνακο λουθῆσαι, ὁ δὲ τὰ μὲν πρῶτα κατέχειν ἐπειρᾶτο πρό δηλον εἶναι λέγων τὴν συμφοράν, ἐπεὶ δὲ πείθειν λέ γων οὐκ ἴσχυεν, ἐκοινώνει τῶν κινδύνων εἰδὼς μὲν ἃ πείσεται, παθεῖν δὲ μᾶλλον αἱρούμενος ἢ λυπῆσαι τὸν φίλον.
Pirithoüs ne le morigéna pas pour cette passion et très vite Thésée lui rendit la pareille. En effet, quand Pirithoüs voulut aller demander la main de Coré, la fille de Zeus et de Déméter, il pria Thésée de se joindre à lui. Dans un premier temps, Thésée essaya de l'en dissuader en lui expliquant que l'échec était assuré. Mais comme il ne put avec des explications rationnelles le convaincre d'y renoncer, il partagea tous ses dangers et, tout en sachant bien pourtant ce qu'il allait lui arriver, il préféra que cela lui arrivât plutôt que de contrister son ami.
[3.1.21] τὸν δὲ παῖδα τὸν Ἀγαμέμνονος πῶς ἀκού ομεν διατεθῆναι μετὰ τὸν φόνον τῆς μητρός; οὐκ ἠλαύ νετο μὲν ὑπὸ τῶν Ἐριννύων, ἐμισεῖτο δὲ ὑπὸ τῶν ἰδίων, ἐπάρατος δὲ καὶ δυσσεβὴς ἐδόκει παρὰ πᾶσι καὶ μιαρώτατος εἶναι; ἀλλ᾿ ὅμως ὁ Πυλάδης οὐκ ἀπεστρά φη μετὰ τῆς τύχης τὸν ἄνθρωπον οὐδὲ ἐνθυμηθεὶς ὡς μεταλήψεται τῆς ἀδοξίας ἐγκαλυψάμενος ἔφυγεν, ἀλλὰ παρῆν καὶ συνηκολούθει καὶ συνηγωνίζετο καὶ θερα πεύειν οὐκ ᾐσχύνετο τὸν αὐτόχειρα τῆς μητρός.
Et le fils d'Agamemnon, dans quelle situation nous entendons-nous dire qu'il se trouvait après le meurtre de sa mère ? N'était-il pas pourchassé par les Érinnyes ? N'était-il pas un objet de haine pour tout un chacun ? Tout le monde ne le considérait-il pas comme un être exécrable, un impie, le pire individu qui fût ? Et pourtant, en la circonstance, Pylade ne se détourna pas de cet homme. Au contraire, ayant à cœur de se montrer solidaire de son discrédit, il ne prit pas la tangente en se voilant la face. Il fit acte de présence, chemina à ses côtés, pris part à son combat et n'eut pas honte de servir celui qui était l'assassin de sa propre mère.
[3.1.22] μικρὰ πάντα πρὸς τὴν Ἀχιλλέως γνώμην κρινόμενα. ἐκεῖ νος γὰρ ἤͺδει σαφῶς ἀκούσας ὡς δεῖ δυοῖν θάτερον, ἢ τὸν Ἕκτορα μὴ διαφθείρειν ἢ καὶ αὑτὸν τεθνάναι, ἀλλ᾿ ὅμως ἔμπροσθεν τῆς ἑαυτοῦ ψυχῆς ἐποιήσατο τι μωρῆσαι Πατρόκλῳ.
Tout ce que l'on a pu apprécier dans ce que savait Achille n'était que bien peu de choses, celui-ci en effet s'étant entendu dire sans ambages que, de deux chose l'une, il fallait soit ne pas tuer Hector, soit [accepter] de mourir soi-même. Il mit en avant la vengeance [due] à Patrocle au détriment de sa propre vie.
[3.1.23] Αὕτη μὲν ἡ τῶν πραγμάτων Ἀλεξάνδρῳ μαρ τυρία, δεῖ δὲ μηδὲ Εὐριπίδην παραλιπεῖν, πάντως δὲ οὐκ ἀμφισβητήσιμος ἡ σοφία τοῦ ποιητοῦ. τί οὖν ἐκεῖ νός φησι; μηδὲν εἶναι προτιμότερον φίλου σαφοῦς, οὗ δεύτερον πᾶν ἐφεξῆς ἄριστον. εἶτ᾿ ἐπειδὴ τοὺς ἀνθρώ πους ἑώρα πλοῦτον καὶ τυραννίδα θαυμάζοντας, διαρ ρήδην φησίν· οὐ πλοῦτος, οὐ τυραννὶς τοῦδε βέλτιον.
Voilà donc les arguments que l'on peut tirer des actes d'Alexandre mais il n'en faut pas pour autant négliger Euripide ; la sagacité de cet écrivain est en tout domaine incontestable. Que nous dit-il donc ? Voici la chose un peu plus délicate : il n'y a rien de plus estimable qu'un ami qui fait montre de ses sentiments. Comparé à lui, les meilleures choses du monde, si on les met à leur vraie place, ne se situent qu'au deuxième plan. Qui plus est, quand Euripide voit les gens faire preuve d'admiration envers la richesse et le pouvoir absolu, il dit sans ambiguïté : « Non, la richesse ne vaut pas mieux ! Non, le pouvoir absolu ne vaut pas mieux ! »
[3.1.24] Εἰκότως ἄρα θησαυροί τε ἐνομίσθησαν Ἀλεξάν δρῳ καὶ ὠνομάσθησαν οἱ φίλοι. ἔστι τοίνυν ἐχόντων νοῦν κἀκεῖνον ἐπαινεῖν τοῦ λόγου καὶ αὐτοὺς μιμεῖσθαι τοῖς ἔργοις, ὡς οὐκ ἔσθ᾿ ὅπως εὐδαιμόνως βιώσομεν, εἰ μὴ φίλων πολλῶν καὶ ἀγαθῶν εὐποροῖμεν.
Alors, il ne s'est pas trompé Alexandre, lorsqu'il a considéré ses amis comme de [vrais] trésors et leur a donné ce nom. En conséquence, pour peu que l'on veuille réfléchir, il faut le féliciter, lui, pour son raisonnement et les imiter [eux] dans leurs actes, car il n'est pas possible de devoir vivre pleinement si, en matière d'amitié, on n'a ni la quantité ni la qualité.
Commentaires
De la chrie
Les Ποργυμναστατα, titre du recueil de Libanios, sont des exercices de rhétorique où il faut être progressivement capable de démontrer quelque chose et son contraire, la chrie n'étant qu'une des étapes mineures de ce parcours didactique.
Pour mieux illustrer la définition donnée de la chrie en introduction de cette page, voici un exemple cité dans l'Histoire de l'Éducation de Marrou (tome 1, p.267).
Isocrate a dit : « La racine de l'éducation est amère mais les fruits en sont doux ».
Plan imposé pour le commentaire de cette citation :
- Présenter Isocrate et faire son éloge.
- Paraphraser en trois lignes son aphorisme.
- Justifier brièvement son opinion.
- L'établir par contraste en réfutant l'opinion contraire.
- L'illustrer d'une comparaison.
- Puis d'une anecdote empruntée par exemple à Démosthène.
- Citer des autorités à l'appui, empruntées aux Anciens (Hésiode...).
- Conclure : « telle est la belle pensée d'Isocrate au sujet de l'éducation ».
Paragraphe 3.1.10
Notus explique le sens de ἄρας et signale qu'il faut prendre garde que τὸν ἐπιτήδειον est un masculin – la personne avantageuse, ici familière, donc simplement l'ami ou le parent. Le passage indique simplement qu'un parent, ou un ami, est une personne indispensable pour conclure un mariage. À l'époque de Libanios, on dirait que quelqu'un devait s'entremettre entre les jeunes gens : avant, c'étaient surtout les pères qui négociaient.
Notons au passage que « l'union des personnes de sexe opposé » est en fait « l'union des sexes » (τὰ γένη).
Grapheus apporte une touche étymologique intéressante relativement à ce passage. Libanios a tenté de définir le portrait du parfait « entremetteur » entre futurs mariés. Il faut avoir à l'esprit qu'à l'époque, le mariage était avant tout une sorte de « marché » entre deux familles. Le « bon intermédiaire » était donc celui qui était capable de convaincre chaque partie qu'elle faisait une bonne affaire... D'où ce texte, dans lequel l'analyse étymologique des verbes employés mérite que l'on s'y arrête puisque l'on aboutit de l'intermédiaire idéal, capable de négocier un bon mariage, à la solution de Notus : ce serait « celui qui pratique » (μελετήσας) l'éloquence, qui « met en valeur » (ἄρας) les biens existants des parties et « fait mousser » (προσθεὶς) ceux qui n'existent pas encore !
- μελετήσας, dont l'étymologie est obscure, paraît être un dérivé de la racine *med- : « réfléchir, peser le pour et le contre », racine qui a donné aussi bien medô, « mesurer » que mêdomai, « penser ». Pour meletaô, on est en face d'un dérivé verbal de *medetê par dissimilation : meletê, « inquiétude », d'où « action de s'occuper de » ou « de s'exercer à », « de pratiquer » ;
- ἄρας est un participe aoriste de airô, dont la conjugaison du verbe primitif *aryô ne comporte pas moins de trois sources étymologiques ! La racine primitive Proto-IE, sinon Pre-IE au sens de Kretschmer, est *ar-, qui exprime l'idée de « ce qui vient du ciel », d'où des dérivés exprimant « le destin » (e.g. Arai : les divinités vengeresses) ou « la prière » (*arwa), moyen d'influencer celui-ci. Dérivent de cette racine certaines formes du verbe airô, comme aretai ou aresthai ;
- un sens voisin semble devoir être attribué à προσθεὶς, dont la formation pros- : « devant » et *dhê- : « déposer » ne pose pas problème.
Pour Hésiode, les femmes sont certes de grands maux, mais nécessaires à la vie de la ferme. Par l'exaltation de ce qui existe, on entend « il est grand, beau, fort, sobre... » et par l'ajout de ce qui n'existe pas, « intelligent, travailleur, fidèle... ».
Paragraphe 3.1.11
Qui est cet ami dont la perte est mise sur le même plan que celle des membres de la famille ? Nous sommes en Grèce et ce ne peut être que l'éraste ou l'éromène. Sans aller jusqu'à expliquer toute la civilisation et la culture grecques par l'homosexualité comme le font certains, il ne faut jamais oublier que cet aspect des rapports humains a joué un très grand rôle. Mais c'était à l'époque classique et alexandrine. Or ici, nous sommes à l'époque chrétienne. Libanios fait partie de la cours impériale : c'est un proche de l'empereur Théodose. Il y a de grandes chances pour qu'il soit chrétien, puisqu'à cette époque le christianisme est la seule religion acceptée. On a fermé les écoles philosophiques, on a rasé les temples qui n'ont pas été transformés en église – cela a failli arriver au Parthénon –, on mutile les statues, etc. Il est donc strictement impossible qu'un auteur de cette époque puisse mettre sur le même plan la douleur causée par la pertes de membres de sa famille et celle causée par la perte d'un amant.
Paragraphe 3.1.13
La première phrase est une interrogation correspondant à une affirmation atténuée. L'expression « ne croit-il pas ? » est donc semblable à « il croit ».
Un péan est un chant solennel, à beaucoup de voix, que l'on chantait dans les circonstances importantes en de graves événements ; il était d'ordinaire adressé à Apollon, mais aussi à d'autres dieux et à plusieurs divinités à la fois.
↑ Retour au haut de cette page
Les traductions et discussions qui sont proposées dans les Jardins de Lucullus font l'objet d'un travail commun et de débats sur les forums Usenet ; les discussions originelles sont archivées sur Google Groups. Les pseudonymes ou noms réels cités sur cette page sont ceux de certains des participants, que je remercie ici pour leur perpétuelle sympathie qui confère sans cesse aux forums une atmosphère chaleureuse.