Genus irritabile uatum

Le plaisir des langues anciennes ressort aussi à travers des petites truculences qui y sont rattachées.
 

Dans ses Épitres, Horace écrivit (II, 2, 102) :

Genus irritabile uatum.

« L'engeance susceptible des poètes. »

Le nom uatum, au nominatif uates, désigne en latin non seulement le poète, mais aussi le devin ou le prophète.

Horace stigmatise ici la susceptibilité des gens de lettres. Sont-ils vraiment hargneux ou s'agit-il d'une légende comme il en court à propos des cordonniers forcément mal chaussés, des chefs de gare obligatoirement sujets aux malheurs conjugaux et des ténors sempiternellement... idiots ?

Le feu de cette fumée vient de loin. Le Kalevala, recueil de légendes finnoises d'époques diverses colligées au XIXe siècle par Elias Lönnrot, comprend l'histoire fort ancienne du barde éternel, le vieux Vaïnamoïnen. Ce dernier, pourvu de toutes les sciences et de toutes les sagesses, composait des chants merveilleux dont la renommée se répandit jusqu'aux glaciales solitudes laponnes. Là, le présomptueux Joukahainen, ce « maigre Lapon à l'œil louche », ivre de jalousie, décide de se mesurer avec le barde. Joukahainen ne supporte en effet pas qu'il puisse y avoir de chants plus beaux que les siens. Il va donc déclamer devant le vieux barde. Mais ses poèmes ne sont que des platitudes, des inepties. Vaïnamoïnen raille alors l'impudent, qui veut tirer son épée, après l'avoir insulté. Alors, le barde perd patience et chante, évoque, invoque, prononce des paroles magiques, des poèmes étranges. Dès lors, les marais mugissent, la terre tremble, les rochers se fendent... et le présomptueux Lapon se retrouve plongé jusqu'à mi-corps dans la fange d'un marais mouvant. Il ne se tirera de là qu'en offrant au barde sa fille en mariage.

Diogène Laërce narre dans ses Vies, doctrines et sentences des hommes illustres que, alors que Lycambe avait promis la main de sa fille à Archiloque de Paros, celui-là revint sur sa décision, si bien qu'Archiloque composa à brûle-pourpoint des vers ïambiques, « armes de la rage » selon Horace, qui, pour persifleurs qu'ils fussent, conduisirent Lycambe à se pendre, tout comme ses trois filles.

Cela ne va point sans rappeler les caustiques vers de Voltaire :

« L'autre jour, au fond d'un vallon,
Un serpent mordit Jean Fréron.
Que croyez-vous qu'il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva. »

Et il est impossible de ne pas faire allusion à l'irritabilité d'un autre poète dont Suétone nous relate la vie :

[XXXIV] In secessu quiescentem per conuicia et iocos terra marique praeteruehentes inquietarent.

Lorsque Agrippine cherchait le repos dans la retraite, [des gens soudoyés par Néron] l'assaillaient encore de leurs saillies et de leurs injures sur terre et sur mer.

[XXXIX] Qui se dictis aut carminibus lacessissent [...] et Datus atellanarum histrio in cantico quodam « ygiaine pater ygiaine mhter » [uale pater uale mater] ita demonstrauerat ut bibentem natantemque faceret, exitum scilicet Claudi Agrippinaeque significans.

Ceux qui le déchiraient en paroles ou en vers [...] et Datus, acteur d'atellanes, lorsqu'il récita ce vers lyrique « Portez-vous bien mon père, portez-vous bien ma mère », avait successivement fait le geste de boire et de nager, ce qui faisait bien évidemment allusion à la mort de Claude et d'Agrippine.

Ainsi, les poètes vilipendent bien souvent...

N'oublions pas que, dans le dixième livre de sa République, Platon voulait déjà exclure les poètes des cités, bien que ce soit à prendre cum grano salis puisque c'est « tant qu'ils ne pourront pas se justifier »...

C. Pompeius Trimalchio, Iulius et Métrodore répondant à Michel Lamy.

 

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