Asinus asinum fricat

Le plaisir des langues anciennes ressort aussi à travers des petites truculences qui y sont rattachées.
 

Lorsque deux personnes s'adressent mutuellement des éloges excessifs, on dit que « l'âne frotte l'âne », soit en latin asinus asinum fricat. On retrouve le titre « Mutuum muli scalpunt » – ou scabunt – d'une Satura Menippea de Varron (p. 295 Bücheler) que Papinius abrège en « Mutuum muli » (p. 42 Morel). L'expression existait aussi en grec et le passage du mulet à l'âne s'est réalisé au cours du Moyen-Âge. Néanmoins, il reste encore une trace de ce mulet primitif dans l'expression équivalente anglaise : « one mule does scrub another ».

Une illustration du proverbe latin asinus asinum fricat est présente à la scène troisième de l'acte III des Femmes savantes de Molière. Les répliques en stichomytie, des vers 969 à 986, qui mettent en scène le savant qui « défie en vers, prose, grec et latin » celui qui soutient qu'on ne peut faire de meilleur sonnet que ceux dont il est l'auteur, montrent en effet les séries d'amabilités que le proverbe latin critique.

Trissotin. — « Vos vers ont des beautés que n'ont point tous les autres.

Vadius. — Les Grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres.

Trissotin. — Vous avez le tour libre, et le beau choix des mots.

Vadius. — On voit partout chez vous l'ithos et le pathos.

Trissotin. — Nous avons vu de vous des églogues d'un style
Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile.

Vadius. — Vos odes ont un air noble, galant et doux,
Qui laisse de bien loin votre Horace après vous.

Trissotin. — Est-il rien d'amoureux comme vos chansonnettes ?

Vadius. — Peut-on rien voir d'égal aux sonnets que vous faites ?

Trissotin. — Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux ?

Vadius. — Rien de si plein d'esprit que tous vos madrigaux ?

Trissotin. — Aux ballades surtout vous êtes admirable.

Vadius. — Et dans vos bouts-rimés je vous trouve admirable.

Trissotin. — Si la France pouvait connaître votre prix...

Vadius. — Si le siècle rendait justice aux beaux esprits...

Trissotin. — En carrosse doré vous iriez par les rues.

Vadius. — On verrait le public vous dresser des statues. »

 

Bien entendu, ces statues ne sont pas les petits Amours qui viennent d'être trouvés, enfouis dans les eaux. Et puisque nous parlons d'Amours, cela ne peut que nous faire penser à l'erasmos, l'aimé, c'est-à-dire Érasme, qui avait déjà critiqué ces panégyriques abusifs dans son Éloge de la Folie, ou Encomium Moriae en 1512 :

« Et rien n'est plus plaisant que de voir des ânes s'entregratter soit par des vers, soit par des éloges qu'ils s'adressent sans pudicité.

— Vous surpassez Alcée, dit l'un.
— Et vous Callimaque, dit l'autre.
— Vous éclipsez l'orateur romain.
— Et vous, vous effacez le divin Platon. »

Pour préciser un peu, Alcée est le poète lesbiaque dont est originaire le vers alcaïque :
u– / u– / – // – / uu– / u–

ou, le plus fréquemment :
u– / u– / – – // uu– / u–.

Ce vers hendécasyllabique est souvent utilisé par Horace dans des strophes dites alcaïques. Les quantités des syllabes placées aux deux extrémités du vers peuvent être brèves ou longues.

Iulius et Paolo Meloni répondant à une question de Fragrance de Jade.

 

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