À quoi sert le latin ?

Le latin et le grec sont omniprésents dans notre langue et notre culture. Quid noui ?
 

Aux existentielles questions « à quoi sert le latin ? » et « à quoi servent les langues « mortes » ? », il faut d'abord répondre que ces langues ne sont pas à proprement parler des langues « mortes ». Certes elles n'ont plus guère de locuteurs, hormis au Vatican pour le cas du latin. Toutefois, elles ont encore de très nombreux lecteurs et admirateurs passionnés : elles continuent en conséquence de vivre, d'autant plus que les connaître semble normal pour ceux qui s'intéressent aux civilisations qui leur sont attachés, telle la civilisation romaine. Elles sont simplement « anciennes ».

« À quoi servent donc les langues anciennes ? »

« Mais à rien, pardi ! » lance Siva Nataraja. À quoi sert donc d'étudier les arts, de lire, de se cultiver pour son propre plaisir, de se nourrir de mets que l'on apprécie et non de simples bouillies inodores à forte valeur nutritive ?
À rien, et c'est là tout l'avantage de la culture en règle générale : elle n'a pas d'utilité pratique, elle est ce qui nous distingue des bêtes. L'homme, lui, peut se consacrer à des activités sans fin pratique réelle, se poser des questions sans réponse. L'animal ne le peut pas, il n'existe pas, il vit, voire il survit. L'homme jouit au contraire de sa capacité à prendre son temps.

À cette question, fort commune, il n'y a qu'une réponse : le latin n'a pas d'utilité pratique, c'est ce qui fait sa beauté. Nous pouvons concevoir la vie sous un angle utilitariste, auquel cas, il faut assumer pleinement le choix que nous faisons : ne pas chercher à porter des vêtements que nous trouvons beaux mais seulement nous protéger du froid ou de la chaleur, ne pas consommer des aliments que nous trouvons bons mais seulement nous nourrir – pourquoi même faire cuire nos aliments ? –, ne pas faire l'amour mais nous reproduire, ne pas échanger par le langage mais donner des ordres ou appeler à l'aide, ne pas trop travailler mais seulement gagner de quoi survivre. La liste est longue ! Ce sont malheureusement les valeurs actuelles : ce qui ne se transforme pas en outil pratique et monnayable est méprisé...

Ou alors, il est possible de considérer qu'il appartient à l'homme de consacrer son temps à ce qui n'a pas d'utilité pratique, auquel cas, qu'est-ce qui distingue le mélomane, l'esthète, l'amoureux des langues et le gastronome ? Tous consacrent leur temps à des activités qui ne servent à rien.
Apprendre le latin, le grec, le sanskrit, des langues dites « mortes » – elles ne sont, d'ailleurs, des cadavres que pour ceux qui ne les étudient pas ; les personnes qui s'y intéressent les font vivre par leurs études – n'est qu'une façon comme une autre de refuser une vie utilitaire, de se consacrer à l'inutilité par excellence, celle qui permet d'accéder au Beau, à la connaissance de l'autre. On peut très bien vivre sans ; certains se sentent incapables d'exister sans elles.

Tout compte fait, cette question revient à dire « pourquoi des « intellectuels » ? ».
Pour rien de très utile. Pour la beauté, pour le savoir en tant que tel et non pour ses applications pratiques. L'objet d'étude est la fin en soi, et non le moyen. Bien sûr, le chimiste, par ses recherches, trouvera une nouvelle molécule capable de soigner, l'ingénieur un nouveau type de moteur, et cela pourra être converti en valeur financière. Mais le latiniste ne produit rien, c'est en cela qu'il se distingue de l'animal : la survie ne l'intéresse pas.

Une question : à quoi sert l'étude de la civilisation romaine ? Quelle est son utilité ? Est-ce nécessaire pour vivre ? Étant donné que la majorité des hommes vit sans elle, ne pouvons-nous pas considérer qu'elle est inutile à la survie ? Bref, la question montre que sont établis des distinguos – un verbe à la première personne du singulier, mis au pluriel ! – entre les diverses matières que l'on peut étudier, distinguos impossible à défendre rationnellement. Ce qui est utile se résume facilement :

Cela mis à part, le reste n'est qu'une série de détails inutiles pour la vie elle-même, indispensables pour l'existence.
Rappelons qu'Épicure classifiait les désirs en plusieurs catégories. Dans la lettre à Ménécée (12), il dit en effet :

« Il faut conjecturer par analogie que parmi les désirs les uns sont naturels, les autres futiles, et parmi ceux qui sont naturels, les uns nécessaires et les autres naturels uniquement ; parmi ceux qui sont nécessaires, les uns sont nécessaires au bonheur, d'autres à la sérénité du corps, et d'autres à l'existence elle-même. » (Traduction d'Anaxagore)

La connaissance des langues dites « mortes » est utile, sinon parfois indispensable à l'archéologie, à l'histoire, à la religion, à la médecine encore, à la psychologie, et donc aux hommes eux-mêmes. L'habitude, nécessaire aux latinistes, de connaître la fonction de tout nom, pronom ou adjectif qu'ils emploient, leur évite facilement des erreurs de syntaxe en français ; et en orthographe, avoir fait du latin est un réel avantage !

Ainsi, l'étude des langues « mortes » sert à les ressusciter, pardi !

Anaxagore, Iulius, Lucien de Luca, Métrodore, Siva Nataraja et Yves Ouvrard.

 

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